La Nativité

 

nativité original

 

d'après le canevas d'Alphonse Fieuw

et des textes de tradition populaire

(Bodart-Timal, Jules Watteeuw, dit le Broutteux)

 

 

 

Marie aurait donné son nom aux marionnettes, l'Annonciation aurait eu lieu dans une courée roubaisienne, Hérode et les Romains auraient sévi sur le versant Nord-Est de la métropole lilloise et, faute de pouvoir trouver un cadre à sa taille dans le futur grand stade à Villeneuve d'Ascq, la naissance aurait eu lieu à Wasquehal. Il faut dire que les marionnettes du Théâtre Louis Richard auraient puisé dans un évangile apocryphe tardif attribué à Morveux Courtelapette, petit saint (ou santon) du XIXe siècle.

 

Inspiré d'un conte de Noël de Léopold Simons qui raconte une Nativité au théâtre lillois d'Alphonse Fieuw il y a plus d'un siècle, rythmé par le très beau Noël du Broutteux en picard, le spectacle reprend la tradition des Noëls des théâtres de marionnettes  de France avec leurs énormes anachronismes, le mélange du français et de la langue régionale, une action située bien près de nous, l'esprit satirique de la revue, le mélange du merveilleux et de la drôlerie, le défilé des petits métiers traditionnels (marchand de moules, marchand de lait battu, marchand d'oches, rémouleur…) avec leurs cris et leurs carrioles.

 

Un spectacle à voir en famille avec "in mirake qu'in avot roublié, l'multiplication des cotchilles ! I n' d'ara pou tertous !"

 

Distribution

Auteur : Désiré Ducasse

Marionnettes : Louis Richard, Alain Guillemin,

Costumes : Andrée Leroux

Décors : David Gommez

Musiques : Le "Noël" du Broutteux (Jules Watteeuw)

interprété par Catherine Delavier et Gérald Ryckeboer

(Harpe, cistre, cornemuse, flûte, vocal)

Marionnettistes : Désiré Ducasse, Andrée Leroux

 

Conditions techniques :

 

Salle obscure

scène ou podium de 7m x 4m,

hauteur 1,20m minimum

sonorisation et éclairage

assurés par le TLR

logotlr

 

                        Réservations: TLR    03.20.73.10.10

                                                           theatre-louis-richard@orange.fr

 

 

 

 

 

LES "NATIVITES"

 

 

          Les "Nativités", les "Passions" et autres "Tentations de Saint Antoine" des marionnettes de France sont presque toujours décrites comme "directement issues des vieux mystères du Moyen Age". Le fait n'est pas acquis et l'on serait bien en peine de fournir un document probant en la matière. Nous avons, par ailleurs, démontré qu'une pièce traditionnelle des marionnettes française "La Tentation de Saint Antoine" dans sa forme commune (avec bien des variantes) aux montreurs de marionnettes forains, était issue d'un "opéra-comique" de Sedaine, auteur du XVIIIe siècle et d'esprit libertin, voire  irréligieux. Le XVIIIe siècle français fut un siècle d'or pour la marionnette grâce à la Comédie-Française soucieuse de défendre ses privilèges et imposant ainsi aux auteurs, incapables d'être joués, de prendre les marionnettes pour interprètes. Les personnages populaires des théâtres de marionnettes, Lafleur, Jacques, Barbizier ... sont à l'évidence marqués, au moins dans leurs costumes, par les types de valets de comédie du XVIIIe siècle et de son "théâtre de la foire"

          La fête de Noël et la place donnée à la Nativité prirent, par ailleurs, au XVIIe siècle seulement,  une réelle importance. Il est évident que les Nativités jouées par les marionnettes sont, en France, un genre assez récent, au moins dans la forme dialoguée qu'on lui connaît. Ce phénomène de religiosité populaire, en marge des institutions religieuses, et d'une inspiration peu marquée par la vision qui est celle de l'Eglise, possède ses caractéristiques propres.  Les institutions religieuses évolueront de l'hostilité à la sympathie en passant par la tolérance, mais sans jamais y adhérer pleinement.

 

LES MITOURIES DE DIEPPE ET LA CONTRE REFORME :

LES MARIONNETTES CHASSEES DE L'EGLISE

 

          Noël 1223 : Saint François aménage une grotte dans la forêt de Greccio et crée la première crèche "par personnages'". Le franciscanisme va répandre cette coutume dans le monde. A la fin du Xlle siècle, les marionnettes des jongleurs disparaissent probablement et les chansons de geste ne sont plus écrites pour elles, leurs personnages sont nombreux, leurs textes moins serrés, moins accessibles aux poupées. Pendant quelques siècles, elles ne laisseront plus de traces. Puis on les retrouve dans toute l'Europe, et en France, à Dieppe en particulier, dans les églises. Dans cette ville, à l'église Saint-Jacques, le jour de l'Assomption, voilà les mitouries (mot signifiant "mi-août"). Dans le choeur tendu de bleu jusqu'à la voûte trône le Père Eternel assis sur un nuage. Les anges volent et l'un d'entre eux vient enlever la Vierge Marie qui reposait sur un lit de fleurs. Elle rejoindra Dieu à l'Elévation tandis que les anges volent autour des cierges comme pour empêcher qu'on ne mette fin à la fête.

          Luther s'indignait devant ces "idoles", les Iconoclastes détruisaient les statues ... comme les marionnettes, et le Concile de Trente et la Contre Réforme allaient leur barrer l'accès aux églises   Un siècle plus tard, le synode d'Orchuela devait renouveler l'interdiction d'utiliser les figures mobiles, pour montrer les actions du Christ, celles de la très Sainte Vierge Marie, et la vie des saints.  Louis XIV, pourtant, assiste à Dieppe en 1647 à une mitourie et en ordonne la disparition. Mais cette interdiction ne marquera pas la fin des représentations des Nativités par les marionnettes. Gaston Baty et R. Chavance, (Histoire des marionnettes, Que Sais-je ? PUF, 1959) ont fort bien noté ces éléments de l'histoire des relations entre l'Eglise et les marionnettes.  Dans la rue et dans des lieux profanes, nous retrouverons les marionnettes et leurs nativités au XVIIIe siècle.

           Marseille, Aix, Toulon, Nice, Lyon, Besançon vont être nos étapes dans cette moitié est de la France, à la découverte de ces Nativités présentes aussi dans le Nord, à Amiens et Lille, où les marionnettes semblent s'être inspirées de celles de la Provence.

 

LES MARIONNETTES PROVENÇALES A GLISSIERES DE LA CRECHE

 

          Dans les crèches publiques, en Provence, qui produisaient quelques modestes ressources à leurs humbles promoteurs, le passage semble s'être fait lentement et imperceptiblement, entre la statue, l'automate (même si son mécanisme est animé par l'homme) et la marionnette manipulée à proprement parler. Le Journal de Provence, entre 1786 et 1791 laisse, à travers ses articles, imaginer une évolution et des perfectionnements dans le sens d'une plus grande mobilité. Les marionnettes peu manipulées, à peine "actionnées" se contentaient de chanter des Noëls provençaux, le jeu dramatique pourvu de dialogues leur fera prendre la dimension de personnages rendus vivants par leur manipulateur.

 

Des marionnettes manipulées par en dessous

 

          La crèche trouve naturellement, lorsqu'elle devient oeuvre dramatique interprétée par des marionnettes, le type de manipulation qui correspond le mieux à ses origines et son évolution progressive. Elle reste posée sur un socle, manipulée par en dessous, supports et manipulateurs restant cachés. Les mouvements sont communiqués par des mécanismes qui conservent leur relation avec la "statue animée" et l'automate.

          Une indication du "Journal de Provence" d'avant 1792 leur donne une taille de trois pieds  (près d'un mètre). Ce témoignage semble indiquer des poupées plus grandes que celles dont nous avons conservé la trace mais il est commun que les spectateurs, trompés par les proportions et les perspectives exagèrent la taille des marionnettes.

          La scène est généralement découpée par cinq plans en légers gradins, le plan le plus bas étant en avant-scène. A chaque niveau, une glissière traverse la scène et va permettre le passage des personnages. Les marionnettes sont de tailles différentes selon le plan sur lequel elles évoluent afin de donner un effet de perspective. Au premier plan, les marionnettes mesurent environ soixante dix centimètres de hauteur et celles qui agissent en fond de scène vingt centimètres seulement. Les têtes et les mains sont souvent en cire, mais parfois aussi en plâtre, en bois ou en liège. La glissière et le socle de la marionnette sont cachés, les pieds de chaque personnage effleurant le niveau de la scène. L'animation de la marionnette se fait par l'intermédiaire d'un mécanisme interne à la poupée et actionné par en dessous. Bras, jambes, bouches sont mis en mouvement par l'intermédiaire de ressorts mus avec de fines cordes en boyaux, reliées aux mains du manipulateur par des anneaux, parfois grâce à des touches. G Arnaud D'Agnel et Léopold Dor (Noël en Provence,  éditions Jeanne Laffitte, Marseille, 1975) complètent cette description technique.

          Dans les années où se prépare et s'installe la Révolution Française, ces crèches deviennent à Marseille une spécialité locale. Le "Journal de Provence" du 23 décembre 1786 annonce que "Le sieur Alphan, exposera sa crèche déjà applaudie l'année dernière".

          De 1785 à 1788, un concurrent s'installe rue Poids-de-la-Farine avant de transplanter, l'année suivante, son matériel rue d'Aubagne. De 1789 à 1791, une crèche fonctionne toujours, rue Poids-de-la-Farine sous la direction de Marigni. Rue Pavillon, près du Théâtre des Variétés, débute en 1790 le "sieur Robin, méchanicien". Aucune mention dans la presse entre 1792 et 1797 : les crèches ont-elles disparues pendant une époque difficile,  ou le journal trouve-t-il bon ou prudent de n'en point parler ? (Source : Pierre Ripert Les origines de la crèche provençale et des santons populaires à Marseille. Tacussel éditeur 1975)

          Avec le Premier Empire, les crèches réapparaissent ou, du moins, se mettent de nouveau à donner signe de vie à l'historien. Les lieux de spectacles doivent faire l'objet d'une demande d'autorisation et les Archives Municipales conservent la trace des crèches de la période 1806-1812. Les documents insistent souvent sur la "bonne moralité du spectacle et des postulants" et ne donnent guère d'indication sur les moyens techniques mis en oeuvre. Pourtant, dans cette période, des transformations fondamentales s'opèrent. En 1808, le spectacle de François est une "pièce en vers ornée de chants". Mais, chez un concurrent, Plancard, on trouve des "statues mécanisées accompagnées de paroles" et le rapport de police joint à la demande décrit des "fantoccinis à fil de fer semblables à ceux que l'on fit voir l'an dernier au grand théâtre". Traduisons "fantoccinis à fil de fer" par "marionnettes à tringle". Il s'agit peut-être ici d'une influence italienne qui nous fait passer des marionnettes à glissière aux marionnettes à tringle.

 

La crèche parlante de Laurent

 

         En 1806, Jean-Dominique Laurent, 119 rue Sainte-Barbe, ouvre une crèche parlante dans cette même rue où nous avions vu apparaître, en 1785, la première crèche d'automates,  celle d'Alphan. Pour la première fois, la crèche s'est très nettement provençalisée.  Il en est sans doute de même dans les crèches voisines dont nous ne connaissons guère que les emplacements et les noms de leurs propriétaires : Guis, rue Sainte-Barbe, lui aussi ; Gay,  rue des Petites Maries ; Bosq, rue des Incurables; puis le même Bosq, associé à Silvy  jusqu'en 1830, date où celui-ci part à Aix continuer son activité.

          Chez Laurent, les personnages populaires, nombreux, s'expriment en provençal mais les personnages évangéliques, Joseph et Marie, les anges, emploient la langue nationale qui crée la distance et situe leur importance. L'ensemble manque peut-être de cohérence avec une suite de saynètes tournant autour d'un même thème. De petites scènes comiques assez gratuites, ponctuent le spectacle : le meunier blanc et le ramoneur noir se disputent,  se battent... et finissent uniformément gris ! Les anachronismes plus ou moins volontaires fourmillent : dans ces Nativités, on rencontre Napoléon, des vaisseaux de guerre saluant la naissance par des salves d'artillerie, le Pape Pie VII, en voyage à Paris. Celui-ci descendait de carrosse suivi des cardinaux ... mais c'est la Sainte Famille qui, respectueuse des usages, sans doute, venait se prosterner et recevoir la bénédiction !  Un abbé cherche à expliquer à Laurent qu'il n'y avait, à l'époque de la naissance de Jésus ni canon, ni pape. Laurent voulu bien corriger son spectacle et mit en scène Jean-Baptiste et Salomé qui en profita pour danser une gavotte directoire ! Mais si, dans ce cas, le burlesque était involontaire, il semble que certaines, crèches n'hésitaient pas à introduire une dose d'esprit clownesque situant le propos sur le terrain de la farce la plus lourde, à l'occasion scatologique.

          On faisait face, enfin, tant bien que mal, à des problèmes techniques. Dans Le Caducée (Souvenirs marseillais     , provençaux et autres. Imprimerie Marseillaise, 1882), Cauvière décrit une scène de la crèche Benoît :

"La saint Famille en fuite apparaît sur la scène :

- Joseph    (le bras armé d'un bâton)  Marie ... Marie ... courage !

- Marie     Joseph, la force m'abandonne ... Frappez à la porte voisine et demandez la "retirée" pour cette                           nuit.

- Joseph     Oui Marie. J'y cours. .. J'y cours ... j'y cours ... (Mais Joseph ne peut faire un pas. La rainure dans laquelle il doit manoeuvrer n'a pas été graissée, sans doute. Alors une grosse main sort de la coulisse, saisit Joseph aux genoux et l'entraîne vers une toile représentant une maison". (Dialogue cité par A. Bouyala D'Arnaud, Santons et traditions de Noël en Provence. Tacussel éditeur, 1975)

          Notons donc que, malgré quelques interruptions, les crèches sont toujours nombreuses à Marseille pendant le XIXe siècle. Outre celles que nous avons citées, on en rencontre en 1789, déjà, à la porte de Rome, dans le local dit du Poids-de-la-Farine et une autre, dirigée par Madame Payan, place Lorette.

           La gazette du Midi en 1872 signale une crèche parlante à la rue des Feuillants dirigée par Laurent et Bourges. La crèche Bosq est installée vers 1830 rue des Incurables puis rue Dauphine, rue Pavillon, rue Thubaneau, et enfin rue des Convalescents. En 1846, la Crèche des Deux Amis joue rue Pavillon et brille par ses décors, ses danses, ses réparties plaisantes en provençal. On trouvera cette crèche vers 1869 rue Sainte, dans une salle bien aménagée où elle semble rechercher le public de la "bonne société". En 1853, la presse parle des cent personnages de la Crèche de l'Union, au 21 du boulevard du Musée.  Vers 1875 la presse mentionne le succès des crèches comme celle de la Renaissance fondée par Jourdan, rue des Petits Pères. Elle déménagera en 1879 rue Tapis-Vert mais sera rapidement délaissée. Dans cette "tradition" il semble toutefois que c'est la nouveauté qui crée un mouvement du public, rapide comme un effet de mode. Le Théâtre des Récréations Enfantines est fondé en 1877 au 53 rue de la Moutaux.  A défaut de produire du neuf, certains théâtres vont  peut-être chercher un public nouveau dans un autre quartier. La Crèche de Lombarde, en 1872, ouvre, place des Capucines. En 1889, celle de Louis Foucard attire l'attention de la presse grâce à son caractère provençal marqué et ses beaux décors. La  fin du XIXe siècle va constituer la fin d'une époque ...

 

Une représentation à Aix

 

          Entre Aix et Marseille, une circulation permanente s'établit. Les montreurs de marionnettes avec leur matériel transplantent leur activité  éventuellement après leur séparation avec un associé. Un étudiant lyonnais à Aix, en 1834, décrit ainsi le spectacle : "... la Sainte-Vierge,  l'Enfant-Jésus, les bergères, tous habillés à la provençale se mirent à dialoguer dans une langue qui comme le costume était un défi à la couleur locale : ce sont les bergers qui chantent des Noëls en l'honneur de l'Homme-Dieu, qui s'engagent à venir réciproquement offrir leurs hommages au berceau divin, ici des domestiques, plus loin des laboureurs, là des femmes, ailleurs des pêcheurs (ce qui est un prétexte pour que le décor montre la mer et des vaisseaux) s'invitant successivement à suivre l'appel de l'Ange, et chaque fois un Noël est chanté, poésie bien humble, privée de toute couleur locale, mais naïve et sincère.  Dans cette poésie populaire, Saint Joseph est appelé "Mousu", la Sainte Vierge "Madame", et l'Enfant-Jésus "Dauphin". Les hauts personnages parlent français, tels les Rois Mages,  dans une langue ampoulée et comique, déploraient le crime d'Adam qui perdit l'univers en mordant la pomme !  Enfin le spectacle se termina par la bénédiction de l'Enfant-Jésus qui se leva et parla,  bien qu'il vient de naître !" (Témoignage cité par Latreille Le Romantisme en Provence  Aix,  Dragon éditions, 1914).

           A Aix, nous retrouvons ce mouvement perpétuel, d'une rue à l'autre, d'un propriétaire à l'autre. Vers 1830, Silvy s'installe rue de la Pureté et cet ancien associé de Boscq remplit,  rapidement sa salle.  En 1886, Botoux va continuer avec le même matériel mais en soignant les décors. Il déménage rue du Louvre, puis vend son matériel à Jean-Baptiste Truphème ... qui déménage rue des Jardins en 1840. Lui aussi soigne les décors, en commande à un peintre. Vers 1845, le théâtre est vendu aux frères Benoit, tourneurs et rempailleurs de chaises ... qui déménagent à leur tour dans l'ancienne chapelle des Carmes où ils vont jouer jusqu'en 1857. Benoît part triompher à Marseille puis rentre à Aix en 1860,  rue Saint-Sépulcre. C'est le succès de nouveau, grâce à des perfectionnements,  jusqu'en 1870 et la guerre.

           En 1872, réinstallation dans l'ancienne chapelle des Carmes jusqu'en 1889 où le matériel est vendu à un groupe de Provençaux militants dirigé par l'abbé Dubourg : elle devient crèche Seyvoz du nom de son nouveau directeur. A sa mort en 1894, ce groupe deviendra "Le Spectacle Aixois", rachètera du matériel, mais le nouveau directeur ne fera plus guère de recette.  Nous sommes déjà à l'époque où une tradition périclite et où des sociétés tentent, difficilement, de la faire survivre. La crèche part à Marseille ... où n'est plus le salut ... et rentre à Aix. La crèche a maintenant un ennemi diabolique : le cinéma !

Passons sur de nombreuses autres crèches pour ne dire qu'un mot de la crèche Notre- Dame des Anges de l'abbé Tardif et de Bonnaud qui vont faire sensation, pendant peu de temps, avec des marionnettes à fils. Notons enfin que, pendant cette période où les crèches luttent contre les distractions nouvelles, de nombreux prêtres soutiennent leur combat.

          Toulon eut aussi ses crèches parlantes qui semblent avoir eu un public très populaire, celui des marins,  ce qui ne fut pas sans marquer fortement leur style : Pommet, 80 rue d'Orléans, en 1860, ses fils, en 1855 au 52 rue de la Pomme de Pin, le père Raibaud en 1852, place Saint-Pierre et qui tiendra jusqu'en 1870. Mais à Toulon, point d'abbé pour soutenir la résistance des crèches à la fin du XIXe siècle !

          Rappelons, enfin, que le spectacle donne une place importante à la langue régionale (occitan provençal). Pierre Ripert, notre source essentielle, le note clairement (Op. cit.) : " Les paroles et les dialogues de simples acteurs étaient en langue provençale, mais les grands personnages, les Anges et la Sainte Vierge s'exprimaient en français".  Aujourd'hui, encore, sur la scène du TLR, la réplique inattendue, en picard, d'un ange francophone agacé, surprend… et fait donc rire !

 

LA TRADITION LYONNAISE : LA MARIONNETTE A TRINGLE

 

           Titre provocateur, bien sûr ! Gratuitement "provocateur  en  un sens car il ne s'agit nullement de renverser  Guignol  et  la gaine lyonnaise, mais, nous semble-t-il,  titre non dépourvu de fondement.  Une note de police du 8 Avril 1845 établit la liste des théâtres de marionnettes  installés  dans  la ville et ayant pignon sur rue, les "crèches" désignant les théâtres de marionnettes à tringle : "II existe actuellement à Lyon quatre crèches :

l° rue Bourchanin, 10 ;

2° rue de l'Hôpital. 19 ;

3° rue Ferrandière,11, tenue par le sieur Guillot ;

  rue  Sainte-Marie-des-Terreaux tenue par le sieur Joly

Deux théâtres de marionnettes :

 l° place des Célestins, café du Caveau, tenu par le sieur Mourguet ;

2° même place, café du Messager des Dieux, tenu par le sieur Lazerne.

Deux théâtres d'optique, situés sous la galerie de l'Hôtel-Dieu. Enfin la galerie de l'Argue contient un café où se donnent des représentations d'ombres chinoises".

            Aux alentours de 1820, sept "crèches" sont recensées dans la ville. II semble que les évènements de 1848 marqueront le début du déclin de ces "crèches", en tout cas la disparition de la plupart d'entre elles.  Seule  la "Crèche Joly" vivra sa grande période de 1850 à 1880.

Le Musée de Gadagne a conservé deux poupées du Théâtre Joly. Il s'agit de marionnettes à tringle de bois,   d'environ  0,70 mètre de hauteur, pourvues de cinq fils. Le répertoire est partout marqué par la  présence   du   thème  de la ''Nativité" mais nous le verrons, il est assez varié.  La  première  trace   d'installation permanente ou au moins saisonnière, d'un théâtre de ce type date du 31 Janvier 1770 ;  il était situé au bas de la Grand'Côte. Gaston Baty  qui, dans son enfance, découvrit le théâtre, à la Crèche Joly, nous fournit de solides informations sur les marionnettes à fils et tringle lyonnaises dans Le Théâtre Joly. Les crèches et les marionnettes lyonnaises à fils (Masques, ed. Contan-Lambert, 1937.).

 

De l'époque révolutionnaire à 1848

 

            Peu  avant 1789, sur le quai du Rhône,  plusieurs théâtres de marionnettes sont en activité ;   "L'Ambigu Comique des Fantoccini" dirigé par Bouchet, la "Crèche" de Fortguerre, maison du Maroquin, et la "Crèche" d'Antoine Morel, maison Menessy.  Rue Noire,  à la même époque, on trouve Brunet, directeur d'une "crèche", tandis que dans la rue Saint-Georges, maison Marietau,  joue un nommé Dufour.

C'est d'ailleurs dans la "crèche" de la rue Noire, avec Brunet,  que Laurent Mourguet manipule des marionnettes à tringle pendant la période d'hiver.

            Entre la fin de l'Empire et 1825, de nouveaux théâtres vont encore se créer. On trouve quatre "crèches" dans la rue Noire, une "crèche" s'ouvre au numéro 10 rue Bellecordière, une autre encore au 11 de la rue Ferrandière. Les  autorisations d'ouverture de salle indiquaient que le Directeur peut donner spectacle "à charge de ne commencer qu'après les offices divins". On apprend également que les places coûtaient quatre sous aux premières et deux sous aux secondes.

            En 1824, une nouvelle "crèche" s'ouvre au 7 de la rue Ferrandière.  Voilà l'avis au public qui la pré- sente :

            " Théâtre de la Nouvelle Crèche, rue Ferrandière n° 7 près  la rue Mercière.

Avis

            Dans  ce  petit  théâtre,  et seulement   depuis   la   Toussaint jusqu'à Pâques, on jouera tous les dimanches, fêtes et jeudis, des représentations  qui  se  succéderont depuis 3 heures jusqu'à 9 heures.  On  commencera  toujours  par  la Crèche, l'Adoration des Rois Mages,  et dans le temps ad hoc le Massacre des Innocents (ou le Trône du Roi Hérode), la scène de la Samaritaine suivie d'une pièce de comédie,  la danseuse de corde, d'autres danses et  métamorphoses  ;  le  sacrifice d'Abraham, etc., etc ...

            Des points de vue,  Batailles et  Tableaux  animés,  constamment variés.

            A  la demande du  public,  on donne des représentations particulières, pourvu qu'on soit prévenu d'avance.

            On  s'abonne  au  mois  ou  à l'année théâtrale.  S'adresser au magasin,  chez  le  serrurier,  au dessous du théâtre, lorsqu'il n'y a personne au premier "

            La "Crèche Joly" plus connue que  les  autres  parce  qu'elle survivra seule jusqu'à 1903,  voit le  jour  en  1831  :  les  sieurs Brunette   et  Joly   demandent l'autorisation  au  Maire  par  une lettre du 8 Septembre de cette année d'ouvrir une salle qui comportait un parquet et des loges.  Ce théâtre du  genre appelé "Crèche" était situé "dans la rue Sainte-Marie-des-Terraux,  au  pied  des escaliers des Capucins,  maison de Monsieur Basset de la Pape N° 2".

            C'est  sans doute  la "Crèche Joly" qui a apporté un répertoire plus varié : si les pièces religieuses  sont  fidèlement  reprises chaque année, de Noël au Carême, on voit aussi apparaître d'autres thèmes.   Geneviève  de  Brabant,  Séliko ou le bon nègre, L'Enfant de Marie Stuart...il semble que ces  mélodrames  aient  pu  être destinés  aux  adultes  tandis  que d'autres pièces étaient créés pour les   enfants  :   Laurent   le paresseux,  Jonas dans le ventre de la baleine.

            Nous  avons  vu, si  nous  en croyons le rapport de police déjà cité, qu'en  1845,  quatre  "crèches"  seulement  sont encore  en  activité.  D'autres  vont  bientôt disparaître ;  celle de la rue de l'Hôpital,  puis  celle  de  la  rue Bourgchanin à la fin de 1848, d'après son  propriétaire,  Nicolas  Verrier, "vu  le  peu  de  vogue  que  ces théâtres ont conservé depuis les événements de Février."

 

La grande époque de la crèche Joly

 

            Nicolas Verrier qui vient de fermer  son  théâtre  en  1848  va racheter la "Crèche Joly" de la rue Sainte-Marie-des-Terreaux  et  la diriger jusqu'à 1867, son fils prolongeant  son activité  de  1867 à 1883. Chaque semaine, pendant ces années heureuses pour le théâtre, quatre séances sont données : le Jeudi en matinée, le Dimanche à 15 heures, 17 heures et 20 heures. Le prix des places est passé de dix à vingt sous et les séances produisent en moyenne une recette d'une soixantaine de francs. Le personnel est nombreux : huit manipulateurs,  un pianiste, trois employés pour la vente des billets et la police de la salle.

 

La salle

 

            Suivons   Gaston   Baty   qui fréquentât les lieux : "C'était une cave, dans l'étranglement de la rue  Sainte-Marie-des-Terreaux, au bas des escaliers qui montaient à la rue des Capucins. Une voûte béait sur une cour où il y avait une fabrique de moutarde ; trois vieilles femmes s'affairaient à piler,   malaxer, triturer d'étranges mixtures, et plus tard je les ai reconnues tout de suite lorsque j'ai découvert "Macbeth". L'entrée se trouvait sous la voûte, à droite ; un guichet entre deux portes. Par l'une, quelques marches descendaient au parterre.  Par l'autre, une échelle de meunier grimpait à l'étage. La salle, si basse que les grandes personnes ne pouvaient se tenir debout à la galerie, était badigeonnée d'un ton café au lait. Les bancs s'étageaient,  recouverts  de  velours rouge et divisés par des accoudoirs pour les "premières", puis, sans velours ni séparations. Au fond la scène, avec son cadre gothique flanqué de deux niches vides, "à la cathédrale", et son rideau, peint de draperies rouges, de broderies fastueuses, de franges, de torsades de passementeries extravagantes.  L'éclairage  était   assuré  par quelques becs papillons où le gaz sifflait dans des globes dépolis, et qui faisaient suinter les murs. Quant à l'aération, elle n'était pas assurée du tout, sauf quand les portes restaient ouvertes".

 

Les techniques de jeu

 

            Le chapitre sera malheureusement  fort  bref.  En  effet,  c'est toujours le côté faible des études sur la marionnette quand un marionnettiste n'a pas collecté les informations  dans  ce  domaine.  Et c'est souvent dommage, non seulement pour l'étude de la marionnette en soi, mais aussi parce qu'à travers les techniques de jeu, ce sont les représentations du monde et de la société,  qui sont matérialisées.  C'est un peu comme si l'on étudiait  l'art de la Renaissance sans faire  allusion à l'introduction de la perspective ...

            Le dessin de Giranne ainsi qu'une autre représentation du théâtre Joly qui nous laisse voir les manipulateurs, nous permettent de penser que la scène est large,  assez profonde et que les marionnettistes se trouvent derrière les décors de fond,   légèrement au-dessus du niveau de la scène : les techniques de jeu sont sans doute proches de celles qu'on utilisait à la même époque à Catane (Sicile) et à Roubaix. Les souvenirs du père Coquillat, qui joua chez Joly avant 1848, nous donnent quelques indications qui confirment cette impression ; "Nous étions jusqu'à quatre ou cinq pour faire manoeuvrer les poupées, et il fallait des fois faire bouger quatre poupées à la fois. Une traverse de bois servait de pupitre : on lisait la pièce tout en faisant manoeuvrer les poupées".

            La dernière  indication est également importante. Contrairement à ce qui se passait en Sicile, en Belgique et dans le Nord de la France, on n'aurait pas joué "au canevas" mais en lisant un texte.  Est-ce la marque d'un théâtre de marionnette plus proche du théâtre d'acteurs ?  Les  observations de Gaston Baty qui recueillit plusieurs pièces en les comparant à leur source  semblent, en effet,  montrer qu'on modifiait le texte initial sans s'émanciper totalement des dialogues de théâtre.

 

Le répertoire

 

            On l'a vu, ce n'est pas par hasard si les théâtres de marionnettes lyonnais sont appelés des "crèches". Les "nativités" et  "Passions" jouent un rôle déterminant dans la première époque de ces théâtres. L'avis au public de 1824 déjà cité, est très clair : les représentations ont lieu "seulement depuis  la    Toussaint jusqu'à Pâques..."  La Crèche, l'Adoration des Rois Mages, Le Massacre des Innocents, La Scène de la Samaritaine, marquent donc le premier répertoire. Il faut noter qu'il semble traverser la période révolutionnaire sans éclipse, ni modification. En tout cas la trace d'aucun conflit avec les autorités révolutionnaires ne nous est parvenu (on sait que la "crèche" de Besançon a, elle, bien failli disparaître pendant cette période.)

            Le théâtre Joly, à partir de 1850 modifie considérablement le répertoire. Il est probable que ce théâtre a pu assurer, grâce au renouvellement de ses marionnettes et de ses décors, l'évolution de son inspiration, condition indispensable de sa survie, voire même d'un authentique renouveau.

            Il  semble  que ce  nouveau répertoire puisse être classé en deux grandes catégories ce qui recoupe partiellement nos observations sur les théâtres de la région lilloise à la même époque : des pièces imitées du théâtre d'acteur, probablement plus nettement destinées aux adultes ; des "féeries" probablement essentiellement destinées  aux  enfants.  Il  est possible qu'à Lyon, comme à Lille ou Roubaix, les matinées du jeudi ou du dimanche s'adressent plus nettement aux enfants, tandis que la soirée du Dimanche soit surtout consacrée aux adultes .Le Diable à Lyon, le Pied de Mouton, La Queue de la Poêle sont citées par Gaston Baty dans son ouvrage sur les "crèches" lyonnaises et l'auteur nous en indique, en effet, très clairement  la source. Il s'agit bien de versions condensées  et  adaptées au  jeu  des marionnettes. La Grâce de Dieu, La Pie Voleuse, St Vincent de Paul, "Napoléon,  Latude, Le fils de la Nuit,  "Trente ans ou la Vie d'un Joueur, Les Orphelins du Pont Notre Dame, Les deux Orphelines... sont très caractéristiques de ce   répertoire qu'on retrouve dans d'autres théâtres de marionnettes, en France, à la même époque.

            Les "féeries" sont également nombreuses au théâtre Joly ; La Belle au Bois Dormant, La Chatte Blanche, Le Diable Vert, Peau d'Ane, La Poudre de Perlimpinpin, Les Quenouilles de Verre, Riquet à la Houppe...

            Il faut noter cependant qu'on ne retrouve pas, comme à Lille, à Roubaix ou en Belgique, les pièces inspirées des romans de cape et d'épée qui tinrent là-bas le devant de la scène. Disons qu'à Lyon, c'est le mélodrame qui constitue l'essentiel de ce répertoire, alors que le "drame de combat", avec ses chevaliers et ses mousquetaires, est caractéristique des théâtres du nord de la France, de Belgique, de Sicile.

            La présence à Lyon de "petites comédies" terminant le spectacle est attestée, mais ce n'est peut être pas la règle, à moins tout simplement que ce petit "'supplément au  programme" ne  soit  jamais mentionné sur les affiches. Peut-on en conclure que les "bouffondries"  (Amiens), les "vaudevilles" lillois ou belges, les "farsas" siciliennes, les "boboches" roubaisiens, selon la désignation locale de ces petites comédies, aient été rares ou moins importantes à Lyon. Il est vrai que leurs thèmes, souvent  proches de ceux du guignol lyonnais classique étaient peut-être considérés comme la spécialité  des marionnettistes à gaine.

 

La fin du théâtre Joly

 

            En  1883,  Joannes  Thuillier succède à Jean Verrier. Mais il semble que  les temps deviennent difficiles,   même si le nouveau directeur remporte encore des succès par exemple avec Le Tour du Monde en 80 Jours qui semble avoir eu une dimension exceptionnelle avec soixante dix poupées.  En 1891, le dernier directeur,   Lafarge, prend  en  main  les  destinées  du théâtre pour une douzaine d'années difficiles.  Le  dessin de Guirane  (le Progrès illustré du 27 Décembre 1891) nous montre le théâtre jouant encore une Nativité et nous permet de voir la composition du public de cette  époque qui  est  très  mêlé,  avec des enfants,  des gens de la bonne société, des militaires et, au balcon, de jeunes "gones".

           Il est probable que cette pièce a un caractère familial plus marqué que d'autres. Lafarge, dans une lettre à Gaston Baty explique les causes de la décadence de son théâtre ; " Le début de la crise a été  l'installation  permanente  du Cirque   Rancy   avenue   de   Saxe.  Ensuite   cela   s'est   accentué,  surtout depuis 1894, et a périclité de  plus  en  plus.  La  clientèle s'éclaircissait   en   raison   des premières matinées à prix réduits   qu'a données   le   Théâtre   des Célestins,  les dimanches.  Ensuite ça a été le Casino qui au début accordait entrée gratuite aux enfants accompagnés par les parents.  Certainement  que  ce  n'était pas le  même  genre  de  spectacle.  Mais beaucoup de parents, et ils sont de plus en plus nombreux, se souciant peu de l'éducation de leurs enfants et se disant ; Bast  ils ne comprennent pas, n'hésitaient pas à les mener dans des établissements cités plus haut y trouvant en même temps une distraction plus dans leurs goûts" (Op. cit. p 16)

           Ensuite est venu le cinéma ...  A la même époque, dans le Nord de la France, les théâtres de marionnettes sont encore bien vivants. Il est   vrai   qu'ils  subissent  la concurrence des caf'conc' mais par contre, dans une société où les classes sociales sont sans doute plus nettement séparées qu'à Lyon,  les prix des places sont nettement plus élevés au théâtre d'acteurs qu'aux marionnettes qui gardent leur caractère "bon marché".

           Lafarge résiste de façon sans doute maladroite à ses concurrents en tentant de rivaliser avec eux sur leur propre terrain. Il joue des opérettes  (Les Cloches de Corneville), s'inspire  du Caf Cône' et du music-hall avec des monologues, des chansons comiques,  il fait danser des petites filles… Gaston Baty nous dit qu'il "semble alors perdre  la  tête".  Disons plutôt que le théâtre de marionnettes, à l'époque, ne s'est jamais défini dans ses caractères spécifiques. Le succès du Théâtre Joly de 1848 jusqu'alors a du venir du fait qu'il était meilleur marché que le théâtre d'acteurs, que ses dialogues plus serrés le rendaient plus accessible, aussi au public populaire. Maie il était, Gaston Baty le montre bien, imitation du théâtre d'acteurs. Cependant, les mélodrames souvent trop bavards, souvent étirés et mal construits,  prenaient, au théâtre de marionnettes, une force et une vivacité supérieures à leurs modèles. Quant  aux féeries,  elles étaient particulièrement bien adaptées au style des théâtres de  marionnettes.  Et Gaston Baty montre bien que, même si la   volonté   des   montreurs   de marionnettes  était  d'imiter le théâtre d'acteurs,  ils apportaient grâce aux poupées, quelque chose de plus. Contrairement à ce qui était leur premier motif de fierté, leur talent   ne   résidait   pas   en l'imitation  parfaite  des  acteurs mais   ils   n'en   eurent   jamais clairement conscience.  En suivant les modes,  en imitant ce qui se mettait à briller en cette fin de siècle, les théâtres de marionnettes  allèrent  très  vite  vers  la ruine finale.

"Le 26 Août 1901,  au nom de l'hygiène méconnue et de la sécurité publique compromise,  l'administration municipale entra en conflit avec les marionnettes.  On ne pouvait évidemment agrandir la salle ni hausser le plafond.  Créer des dégagements autres  que  la petite porte où l'on se bousculait à la sortie  eût  demandé  des  dépenses hors de proportion avec les maigres recettes.   Devant   les  exigences peut-être    excessives    de    M,  Augagneur,  le Théâtre Joly devait fermer sa porte …" (Martin Basse cité par G. Baty,op.cit. P16)  Voila comment Martin Basse raconte  la fin,  il  faut bien le dire  classique,  de  ce  théâtre.  Lafarge   se défendit pendant deux ans    contre    les    règlements,  l'administration,  avant  de  céder définitivement. Tout fut démoli et  comme à l'habitude, on ne conserva rien ou presque des poupées, des décors, des accessoires...

 

La marionnette à tringle : une forme importante du spectacle à Lyon

 

            Il est tout à fait étonnant qu'on n'ait pas étudié de plus près ce phénomène, largement occulté par la marionnette à gaine et Guignol. Notre sous titre "provocateur" ne va pas nous amener à conclure par  l'affirmation selon laquelle les poupées à tringle auraient joué à Lyon un rôle de premier plan accordé à tort aux poupées à gaine. En revanche, il nous semble que les rapports entre les deux formes du théâtre de marionnettes dans cette ville mériteraient d'être étudiés. Il reste qu'avant 1848 les crèches jouent un rôle important qui nous est encore confirmé par le témoignage du père Coquillat, canut qui allait animer pendant un quart de siècle le "Théâtre de la Gaieté" où il donnait le mélodrame avec d'autres canuts et qui débuta avec les marionnettes : "Des camarades m'avaient donné l'idée de monter une crèche. Ça été le commencement de l'idée du théâtre. J'avais alors quatorze ans. Une crèche se compose d'une scène de  bois et en carton sur laquelle on fait danser des poupées qu'un fil de fer retient par la tête. La majeure partie des gones un peu débrouillards faisait alors des crèches, J'en installai une petite dans l'alcôve.  Les poupées s'achetaient chez Blanchemaison, côte Saint Sébastien, en face des Colinettes. Il y en avait qui étaient habillées et d'autres qui ne l'étaient pas. Les grandes valaient huit sous et les petites cinq sous. On donnait la représentation le Dimanche après midi et les spectateurs  c'étaient des gones, des camarades de polisse que j'avais prévenu pendant la semaine des ça ma rades de polisse que j'avais prévenus pendant la semaine. Il  en venait quinze, des fois seulement dix ; chacun donnait un sou. Je récoltais dix et quinze sous que je donnais à ma sœur, sauf ceux qui étaient nécessaires pour acheter des poupées et améliorer la crèche. Il y avait à ce moment quatre  gones,  à  la  Croix Rousse qui faisaient ce travail,  mais c'est chez moi que venait le plus de monde. Nous étions deux pour faire manoeuvrer les poupées,  on jouait ce qui nous passait par la tête,  toutes sortes d'imaginations". A côté des grandes "crèches" citées plus haut, il  y en avait donc d'autres, encore  plus modestes, ces crèches d'enfants.

            Ajoutons  pour  conclure  une observation. Lyon a accueilli, pendant  tout  le  XIXe  siècle  en particulier, une importante colonie italienne. Parmi ces Italiens, on remarque  la présence de nombreux mouleurs de plâtre et l'on sait qu'en Belgique, cette profession a eu un rapport avec la marionnette (à Bruxelles au moins), sans doute pour la participation de ces spécialistes à la fabrication des têtes. Il faut noter qu'à Lyon, pourtant, on ne trouve pas de noms italiens  parmi  les  animateurs connus  des  crèches. Sans rien vouloir ôter aux Italiens qui ont toujours joué un rôle important dans le domaine de la marionnette, il nous semble que cette observation, après d'autres, rend encore un peu plus fragile les thèses de l'introduction  par eux de la technique de la tringle chère aux chercheurs de Belgique et du Nord de la France.

 

LE VIGNERON BARBIZIER ET LA CRECHE DE BESANÇON

 

          Nous restons donc dans le domaine linguistique franco-provençal, dans cette remontée du Midi au Jura, en passant par Lyon. Besançon va nous permettre de rencontrer d'autres crèches et des marionnettes à glissière "provençales". Là encore, le XVIIIe siècle imprime sa marque sur ces marionnettes, même s'il n'est pas prouvé que rien n'a existé avant cette date. Les costumes des personnages et celui du héros populaire, Barbizier, en particulier, sont très caractéristiques de ce siècle. Enfin, ces crèches sont très fortement marquées par l'esprit populaire local, le petit monde des vignerons, par exemple, en imprimant fortement son empreinte sur le jeu des poupées.

 

L'apparition de la crèche

 

          Charles Nodier nous raconte dans Marionnettes l'histoire de la crèche et de Barbizier avec un texte qui n'a pas la prétention d'être historique et sur lequel nous reviendrons. Max Prinet nous apporte, à l'inverse,  des éléments beaucoup plus probants dans son étude sur La Crèche et les Jacobins. Pour lui, l'histoire débute seulement après la Terreur. A l'évidence, c'est seulement à cette date que l'on trouve des traces incontestables sans, pour autant, ôter tout fondement à ce qui, chez Nodier, est avant tout un exercice littéraire. Le 6 janvier 1800, un commissaire de police nous livre son rapport  que cite  Jean Garneret (La Crèche et le Théâtre Populaire , Besançon, Folklore Comtois 1974) :  "... depuis quelques jours nous sommes étés instruits par la clameur publique qu'on représentait dans la maison des ci-devant Grand Carmes, une crèche, moyennant rétribution ; ce que les citoyens Joseph Landriot, journalier, demeurant rue de la Réunion,  n°766, Mouraux dit le Bossu et autres faisaient mouvoir les figures qui la composaient et articulaient les mots qu'elles paraissent prononcer ; que dans cette représentation on y voyait figurer un personnage sous le nom de Barbizier, un second en qualité de compère,  et un troisième en celle de commissaire de gouvernement sous le nom de Chazerand ; que Barbisier faisant rencontre du compère, se plaint à lui de ce qu'il est trop fortement chargé d'impositions et qu'il va près du commissaire à l'effet de s'en faire décharger ; que le compère répond en patois : le commissaire n'ot pû ran ; que Barbizier réplique avec étonnement : le commissaire n'o pû ran ? (Le commissaire n'est plus rien) plus ils chantent ensemble !

Chazerand n'ot pû ran

y n'ot pû ran

y n'ot pu ran

souveni-vous-en

souveni-vous-en

Chazerand n'ot pû ran

souveni-vous-en longtemps.

qu'ensuite ils chantent : la perruque a fait son temps ; puis il est question que Chazerand passant dans une rue fut éclaboussé par un charaban, dont le cheval avait pris le mors aux dents, que ses souliers de cabron et son habit de congrégation ainsi que sa figure furent couverts de boue, et qu'il fut obligé d'entrer dans une boutique pour se laver ; que Barbizier dit qu'il voudrait bien le voir, et qu'à l'instant Chazerand arrive, tenant une perruque à sa main ; que le premier s'écrie : Ah en parlan di loup, y soë di boue ; puis le commissaire raconte l'aventure du charaban et finit par dire que s'il connaissait le quidam,  qui'il le ferait mettre en prison, et qu'il va au département à ce sujet ; qu'à l'instant qu'il part pour s'y rendre Barbizier s'écrie : Te né qui y ailla, ty seré bien reçu, vai-t'en si loin que jaima on ne te revoye, tant de maux que t'é fa a gens ; que Ion bon Due te beille autant de bénédictions qu'y a beillie de louis d'oï a prouëres ai mai vie ; que lou petoue te fasse lai conduite jusqu'as isles sainte Merguerite.  Qu'une partie des spectateurs applaudissait en se livrant à des ris inconsidérés". (Op.cit. p 88). Ce Chazerand, commissaire du gouvernement à Besançon, riche marchand plus ou moins honnête fut durement secoué en mars 1789 par une émeute populaire liée à une montée en flèche du prix du blé. Mais, en 1795, le même Chazerand qui a su s'adapter au nouveau régime est limogé et moqué par le peuple qui lui reproche d'avoir conservé ses habitudes ... et surtout sa perruque d'Ancien Régime ! Un pamphlet court : Quand la perruque a fait son temps, qui vise Chazerand.  On le voit, les marionnettes expriment, à travers Barbizier, les révoltes populaires. La crèche fait l'objet d'une surveillance policière ... mais les informateurs policiers eux-mêmes, s'amusent et se montent conciliants !

          Les crèches se multiplient : on nous signale que, certaines années, trois d'entre-elles jouent en même temps et font le plein de public. En 1814, on cite cinq crèches. Vers 1820, cependant, il semble que, seuls  les enfants et les femmes fréquentent les crèches. En 1865, l'abbé Bailly publie le texte de la pièce. Le spectacle se fige, il est souvent repris, y compris par des Francs Comtois de Paris. Est-ce la crèche populaire ou bien "la crèche de l'abbé Bailly" ? On voit aussi apparaître des crèches "italiennes" ou '"parisiennes" : elles ont un succès sans lendemain. Un siècle après l'apparition de la première crèche, celle de Franceschi, il existe un texte, des costumes soignés, des nouveautés ... mais plus de création : la verve populaire ne s'exerce plus, il s'agit déjà d'un "folklore".

          Entre le récit de Nodier et sa crèche, peut-être imaginaire, en 1793, décrite comme une véritable expression populaire avec un Barbizier à l'esprit satirique, les preuves historiques montrant ce personnage dans lequel se reconnaissent les vignerons et, enfin, le folklore de cette fin de siècle,  ce sont toutes les images, classiques, de l'évolution d'une tradition populaire que nous retrouvons là : une réalité, une vision romanesque et romantique, une survivance qui se fige pour ne pas disparaître. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, pourtant,  une famille de montreurs de marionnettes à tringle ambulants avec François Brun, son neveu et continuateur Joseph Coulon joueront encore la crèche dans les villages au Nord de Besançon où l'on reste attaché aux distractions simples avec les grands classiques des marionnettes, L'Enfant Prodigue, Geneviève de  Brabant, la Tentation de Saint-Antoine.....

 

NORD DE LA FRANCE : LA NATIVITE CHEZ LES LAÏCS

 

           Le théâtre de marionnettes du Nord de la France est essentiellement un théâtre ouvrier se développant dans une région très marquée par l'influence anticléricale. Chez Louis Richard qui est l'expression la plus accomplie de ce phénomène, l'histoire de France tient le devant de la scène et les thèmes religieux passent pour être démodés voire inacceptables pour des raisons qui recoupent les principes des institutions laïques de l'époque. La Nativité est donc une exception dans les théâtres de Lille ou Roubaix. On la retrouve pourtant à Lille au "Théâtre d'Artagnan" d'Alphonse Fieuw que nous allons rapidement décrire avant que Léopold Simons nous raconte la Nativité qu'on y jouait ... avec semble-t-il une influence provençale.

            Le Théâtre d'Artagnan est fort d'une troupe de 60 marionnettes environ avec de nombreuses têtes de rechange, et d'une solide collection de costumes. Alphonse Fieuw fabrique les corps, les chaussures de cuir, les tringles, les poignées, les balanciers. Les costumes sont coupés par lui, cousus par sa femme Comme la plupart de ses confrères lillois, il fait appel à Léonard Verbraeckel pour la sculpture des têtes, mais il fixe lui-même les yeux de sulfure et peint les visages. Le montreur de marionnettes lillois Louis De Budt, lui aussi, fréquente la maison et on lui achètera des marionnettes. Mme Fieuw qui tient la caisse peut, si la recette est bonne, mettre de l'argent de côté pour investir dans de nouvelles marionnettes :" Ça, ça sera pour embellir la comédie !". Le public connaît la valeur du Théâtre d'Artagnan et, rue Mazagran, le concurrent le plus proche de Fieuw, Buisset sans doute, doit faire des efforts publicitaires à la mesure de l'époque et  annoncer lui aussi de nouveaux costumes et les exposer avec son affiche. Rue Fombelle, le public est fidèle, il y a des abonnés, si l'on peut dire. Ce public, toujours attentif, se laissait souvent émouvoir : on pleurait parfois dans la salle. Jacques, le comique lillois, est souvent  domestique dans la grande pièce, mais apparaît aussi dans les vaudevilles qui terminent le spectacle : il parle le picard lillois (le patois) dans la pièce comique, mais dans le "drame" il "parle bien"... c'est-à-dire français ! Ce personnage, dans ce théâtre, est symbolique des rapports entre  "grands" et "petits" et aussi entre français et picard.

            Le petit fils d'Alphonse Fieuw aurait, d'après Simons (auteur lillois observateur passionné de la vie populaire régionale), ramené de son service militaire en Provence, une description des crèches et des santons : cela aurait donné à notre montreur l'idée de son spectacle. Cette Nativité devait prendre un caractère local, faubourien. C'était "la présence du populaire " qui l'avait frappé dans les santons.  " Une musique simple, solennelle, monta comme d'un harmonium. En fait, c'était l'accordéon du petit Polyte,  bien connu dans le quartier pour ses polkas et ses valses...  La vierge, Joseph, les bergers avec leur houlette ; et pour qu'il n'y ait pas de doute sur leurs attributions, ils bêlent avec tant de conviction que le public se met à rire et à les imiter. Puis c'est le marchand d'oches accompagné de son air bien connu. Ensuite le marchand de moules avec sa crécelle qu'il fait tourner" des moules, quat' sous l'pot" crie-t-il, et le public de rire et de l'interpeller...  Les Rois Mages vont s'agenouiller l'un après l'autre devant l'Enfant Dieu, et déposent leurs présents aussi indéfinissables qu'étincelants... Dans la salle, le premier rang se lève, puis les autres sans un murmure, tacitement. On applaudit en silence. Alors il se produit un phénomène... Doucement, comme au ralenti, tous les personnages s'abaissent en un lent mouvement, s'agenouillent, puis s'inclinent, se prosternent.  Le soir même, nous avons su ce qui s'était passé : les joueurs n'étaient que trois et chaque fois que l'un d'eux amenait sa marionnette, il l'accrochait à une perche suspendue derrière le lambrequin, puis allait en chercher une autre. Si bien qu'à la fin, la perche suspendait une quinzaine de pantins. Les deux cordes de chanvre qui tenaient ce poids s'étaient enflammées au contact des feux de Bengale et, se consumant, avaient lâché doucement sous la charge. Ce qui expliquait cet affaissement simultané de toute la troupe. Cette explication détruisait tout bêtement l'aspect miraculeux de la scène... " Léopold SIMONS (Treize Contes pour le Temps de Noël, VDN ed. 1989)

 

            Voila donc les souvenirs laissés par les Nativités dans les traditions de marionnettes des provinces de France. En réalité, ne surnage que ce qui a pu encore exister au XIXe siècle et rien n'interdit de penser que bien des "Crèches" ont disparu sans laisser de trace. Les montreurs de marionnettes ambulants ont fait, seuls, longtemps, l'objet d'une véritable surveillance due à la crainte traditionnelle du vagabond. L'attitude de l'église catholique fluctue avec le temps ; les interdits successifs sont, assez souvent, peu respectés. A Lyon, il ne semble pas que l'église se soit intéressée aux crèches. A Besançon, des prêtres se sont impliqués pour les faire vivre. S'agit-il d'initiatives individuelles liées à un intérêt personnel pour les marionnettes ?

            Le public du Théâtre Joly, à Lyon, donne l'image, d'après le dessin de Giranne, en 1891, d'un public familial, avec des dames de la bonne société portant chapeaux, plus nombreuses que les hommes, également le couvre-chef sur la tête, ce que le règlement des grands théâtres interdisait. Leurs enfants les accompagnent. Certains adultes semblent, pourtant, seuls. Les "gones", les enfants pauvres non accompagnés, sont au balcon au plafond trop bas pour que des adultes s'y tiennent debout. Le prix des places permet d'assurer la séparation des classes sociales selon la méthode utilisée à l'époque, en ville, pour l'habitat où les plus riches vivent en bas et les plus pauvres au grenier. Enfin, le thème de la Nativité permet bien, voire impose, l'usage de la langue nationale réservée aux saints, aux anges, aux rois et aux princes et celui de la langue régionale que pratiquent les personnages populaires. La confrontation entre les langues constitue un élément habituel du jeu des marionnettes dans de nombreuses cultures du monde. Elle prend toute sa saveur lorsque les langues communiquent suffisamment entre elles pour permettre une relative intercompréhension  et aussi des  erreurs cocasses. L'effet comique est assuré, parfois aux dépends du grand personnage et de sa "belle langue", parfois pour ridiculiser le "populaire patoisant". En Provence et à Besançon, la Nativité a accompagné, voir accéléré, un intérêt nouveau pour la langue populaire : le genre est devenu un emblème de la culture régionale. A  Amiens ou à Lille, des marionnettes qui avaient participé à une acculturation au bénéfice de la langue nationale ont, au XXe siècle, profité du thème de la Nativité pour promouvoir un retour vers le picard. Il en sera de même en Belgique de langue wallonne ou picarde.