"L'Théât
Boboche"
Au Théât Boboche
où les comédiens "jouent les marionnettes" ("in
jeue chés bolomes, in jeue chés cabotans") les arveteux
peuvent babéler et réponte in "pato", in "rouchi",
in "chti", pou tout dire in picard. Ces grandes marionnettes de
bois qu'on croyait oubliées, endormies depuis un siècle dans un
grenier, vont se réveiller avec un dialogue de Simons en picard
lillois et en alexandrins. Le roubaisien Bodart-Timal évoquera, avec un
poème dans sa langue, "l'Théât' d'in sou", ce
vieux théâtre des quartiers ouvriers. P'tit Morveux, le jeune
héros du Théâtre de Louis Richard, nous entraînera,
avec Jacques et les autres, dans un de ces boboches, une de ces farces où
chacun se laisse prendre eu jeu. On découvrira un
très court texte pour marionnettes en picard arrageois du XIIe
siècle. Avec
"Diogène", conte philosophique cocasse, d'étonnants
personnages à l'esprit satirique vont jouer avec l'actualité. De vieilles chansons des
théâtres de marionnettes du XIXe siècle
viendront ponctuer le spectacle et vous vous apercevrez, au refrain, qu'une
langue s'apprend facilement en la parlant ou en la chantant. Au Théâtre de
Louis Richard, fondé à Roubaix en 1884, (que nous continuons
à faire vivre avec des spectacles en français pour les adultes
et le jeune public), après le "grand drame de combat" en
français, une petite farce (le boboche) avec ses héros
picardisants ("patoisants", parlant chti) concluait le spectacle.
Les personnages centenaires jouent encore ces boboches (du verbe picard
"bober", d'où le français populaire
"bobard"). Avec "Un leu din in
life", "Ourson et Valentin", le TLR permet au jeune public de
redécouvrir la langue régionale.
Pou kminchi !
Morveux
Courtelapette dit P'tit Morveux Morveux Coutelapette, dit P'tit
Morveux, créé en 1873, héros principal des boboches du
théatre de Louis Richard (Théât' Louis ou
Théât' Boboche fondé à Roubaix en 1884) a une
quinzaine d'années. Jeune ouvrier vêtu d'un bleu de travail
avant 1914, il suivra la mode pour porter casquette et costume rayé,
ou à carreaux, dans l'entre-deux-guerres. Il est le porte- parole des
ces jeunes ouvriers de l'époque de Louis Richard, à l'usine
à 12 ou 14 ans, passés par l'école
républicaine… Mais P'tit Morveux est seulement passé
devant l'école ("J'faijos demi-tour, j'faijos toudis
tcheuette") et n'a jamais voulu accepter l'usage du français. Sur
ce point, il est l'image inversée de cette jeunesse ouvrière
d'entre 1880 et 1914 et cela constitue l'un des ressorts essentiel de la
farce. Dominique Platelette (le marchand de plats et telettes passait pour
être grossier et vulgaire) et Jacques Linflé (dit Gros-Jacques)
ses "mononkes" se refusent également à l'emploi du
français. Morveux est batailleur et ne se
laisse pas faire, d'où son nom. Il ne se refuse jamais à donner
du bâton mais aussi à distribuer coups de tête ou coups de
pieds. Il est surtout, le plus souvent, l'organisateur de la farce qui va
permettre de soutirer à l'un quelque argent, de se moquer d'un autre,
de se venger d'un affront. Les individus francophones, quelque
peu riches et prétentieux, feront souvent les frais de la farce.
Français et Picard se rencontrent de façon cocasse. La langue
nationale, surtout si elle écorchée par un ouvrier parvenu,
prête à rire à travers cette confrontation avec le
picard. Morveux Courtelapette dit P'tit Morveux,
Dominique Platellette, Jacques Linflé dit Gros Jacques. Boboche,
vaudeville, bouffonderie Dans le domaine linguistique picard,
les "comédies" où les marionnettes présentent
des versions populaires des pièces de théâtre de
l'époque, des opéras (avec l'orchestre remplacé par un
accordéon pour accompagner les "grands airs"), des
adaptations d'œuvres de la littérature populaire et historique du
XIXe siècle, le français règne en
maître… même s'il s'agit souvent de français
populaire marqué par un fort accent et des picardismes. Le héros comique (Jacques
à Lille ou Tournai, Lafleur à Amiens) s'exprime en
général en picard. Mais on le verra parfois, à Lille,
s'exprimer en français dans le grand drame de combat. La petite pièce (ou
"Boboche") qui vient conclure un long spectacle est marquée
par la présence forte du picard. Cette farce est appelée
généralement "vaudeville" à Lille,
"boboche" à Roubaix (du verbe "bober" : se moquer
de, tromper, d'où "bobard" en français populaire) et
"bouffonderie" à Amiens. La langue régionale domine
la pièce avec ses locuteurs. On ne se moque pas des patoisants qui
"écorchent" le français mais des francophones, de
leur caractère, de leur position sociale. Au théâtre de Louis
Richard où la grande pièce ne comporte aucun personnage
picardisant, le comique lui-même, Bibi-Lolo, s'exprime en
français et à l'inverse la domination du picard s'affirme dans
le boboche. Dans les années 1930, les
tentatives heureuses à Amiens ou Abbeville de faire renaître les
cabotans passeront par une mise en avant d'un répertoire picardisant
et de héros porteurs de cette langue. Le théâtre
deviendra bien plus picard qu'il ne l'était avant 1914. La même
tendance, à Lille (avec l'association des Amis de Lille)
échouera. A Roubaix, Léopold Richard prolongera l'œuvre de
son père, Louis, en respectant tout autant l'esprit du "grand
drame" que celui du "boboche", le français comme le
picard. Scène de boboche avec P'tit Morveux
(à droite).
Deux vieilles marionnettes lilloises
se réveillent dans leur grenier et évoquent leurs souvenirs de
scènes glorieux. Deux marionnettes lilloises de la fin du XIXe
siècle. (Personnage de gauche créé par
Louis De Budt, personnage de droite créé par Louis
Vanoverveldt) Chevalier Ah ! Ch'est pas bien, savez,
Marquisse, ch' que vous faites. Si
min nez i-est comm' cha, faudrot point l'oblier, Ch'est biel et bien pour vous. Marquise Ch'est vrai, mon chevalier ; Ch'étot
in m' défindant cont' les traît's, mes enn'mis, Qu'
vous avez attrapé tous ches cops là pour mi. Ah
! Ch' que vous étiez biau quand vus faijiez batalle, Avec
vo' grande épé', buquant d'estoc et d' talle, Cont'
tous ches capenoull's qui s'in courot' nt invo, Tell'mint
qu'i's avot'nt peur eud' vos cops d' tiête in bos ! Cha
s'est trouvé des fos, qu'vous étiez in foufelles A
tel point qu' i' 'n avot des nœuds à vos fichelles Et
qu' vos bras et vos gampe' i's étot'nt mélangés. Chevalier Mais ch'étot, biell'
marquisse, pou' vous arvinger !... Léopold Simons "Marionnettes" Le domaine linguistique picard Le picard
est une langue répandue sur un domaine linguistique (voir carte),
disposant d'une histoire (la première trace littéraire est
" Depuis la
fin du Moyen Age, la langue a perdu tout statut officiel. Elle s'est
diversifiée comme toute langue populaire vivante, mais sans disposer
d'une norme, d'une référence, d'une définition du
"bon picard". Dans nombre de lieux on a oublié son nom, elle
reçoit les dénominations de "chtimi", de "rouchi"…
et surtout de "patois", c'est à dire de parler vulgaire
perçu comme du "français déformé". En
vérité, c'est plus souvent le picard qui a été
francisé sous la pression de la langue nationale. Extrait de "Astérix i rinte à l'école", Albert
Uderzo et René Goscinny. Traduction picard : Alain Dawson, Jacques Dulphy,
Jean-Luc Vigneux. Ed. Albert René. La littérature de France ses sources et
ses marges : la littérature picarde L'ancien
picard L'un des
plus anciens textes de la littérature de France, "La séquence de sainte Eulalie",
datant de l'époque carolingienne appartenait à l'abbaye de
Saint Amand les Eaux. C'est un poème religieux écrit en
"proto-picard". Les XIIe et XIIIe
siècles produiront un nombre important d'œuvres marquantes avec
"Aucassin et Nicolette",
chantefable arrageoise dont l'auteur est inconnu, les chansons de Conon de
Béthune, les chansons courtoises de Jacques d'Amiens, celles de
Richard de Tournival et son bestiaire. Le théâtre tiendra
également une place importante avec Jacques Bodel ("Le Jeu de Saint Nicolas"- Arras
XIIIe siècle) et Adam de Le
moyen picard Peu
d'auteurs connus, sans doute de très nombreuses œuvres
perdues… des œuvres plus locales dans leur diffusion ; le picard
est marginalisé, devient, peut-être, un mode d'expression
littéraire. Les œuvres lyriques ou dramatiques sont rares. La
littérature picarde s'installe dans un registre, celui des œuvres
satiriques à contenu social ou politique. Cette période se
termine au XVIIe siècle avec Charles Delarue et
François Cottignies, dit Brûle-Maison ("Chansons et Pasquilles"). La
littérature picarde moderne Avec Pourtant,
de 1830 à 1870, des œuvres de valeur vont être produites
avec Carion, Gosseu, Dechristé, Desrousseaux, Jurion et surtout
Crinon. Edouard Paris, bien sûr fort décrié, a
tenté de donner une orthographe propre au picard, fondée sur la
transcription phonétique, en refusant de singer les graphies du
français. L'école
de Jules Ferry va amplifier le combat pour "l'éradication des
patois". Avec Jules Watteeuw, dit le Broutteux, des chansons et
pasquilles vives et gaies contrastent avec un théâtre
conventionnel et un esprit de retour aux vieilles valeurs françaises
alors que Fidit, à Valenciennes, affirme des "idées
avancées". Jules Mousseron, à Denain, poète et
mineur de fond, produit une abondante littérature aux
résonances sociales qui marquera "l'esprit chtimi".
Jusqu'à la première guerre mondiale, les chansonniers des
villes ouvrières produisent d'innombrables chansons de carnaval.
Un autre
esprit Avec
Géo Libbrecht, en 1963, le ton change. Le poète tournaisien
publie "M'n'accordéion" et la force de la langue et des
images rompt avec la routine des productions précédentes.
Pierre Garnier produira une poésie spatialiste étonnante, et,
dans les dix années qui suivront, Francis Couvreur, dans le Hainaut
belge, Flip-Donald Tyètdégvau vont pousser au plus loin cette
recherche d'originalité. Paul André, Pierre Delancre, Paul
Mahieu marqueront l'importance de ce renouveau poétique en Belgique,
Jacques Dulphy Jean-Marie François, en Picardie. Pierre Yvart, dit
Yvar Ch'Vavar (nous nous inspirons de son travail sur le picard moderne),
affirme sa démarche personnelle : une volonté permanente de
surprendre. A Lille,
Léopold Simons marquera la culture picarde locale, comme auteur et
comme peintre, par la qualité de son travail, sa sympathie vraie pour
le "petit peuple lillois". Il fut bien le seul, par sa peinture,
son écriture, son jeu et ses dialogues radiophoniques, à en
donner des images justes et vraies. Il est resté dans la
continuité en décrivant le monde ouvrier "chtimi" et
sa langue. Marionnettes dans le domaine linguistique picard D'Amiens
à Mons ou Tournai en passant par Arras, Lille ou Roubaix, les
marionnettes à tringle ont été omniprésentes au
XIXe siècle, jouant en français et en picard. De
1930 à nos jours, leur survie ou leur renaissance a donné
très fréquemment une place importante au picard. La marionnette
avant 1900, est, le plus souvent, un théâtre bon marché
qui ne se différencie pas, par son répertoire, de ce que jouent
les comédiens des quartiers ouvriers de la même époque.
Leur public est majoritairement composé d'adultes. Le mot
"marionnette" est rarement utilisé. On emploie le mot picard
"cabotan" ou "cabotin" (le mot passe en français
dans un sens péjoratif pour désigner un acteur "qui en
fait trop") ou "bolome" et enfin "porichinelle",
déformation du nom du personnage de Polichinelle (Voir "l'canchon dormoire" de
Desrousseaux). Marionnettes
picardes au moyen âge
Marionnettes
et picard au XIXe siècle
Marionnettes
des théâtres ouvriers De De 1800
à 1914, le phénomène va s'inscrire au milieu de grands
bouleversements, entre les guerres, durant lesquelles le nord de A Roubaix,
le théâtre de marionnettes apparaît en 1829 avec la
première école gratuite. Il prend toute son importance entre
1880 et 1900 (en 1884, Louis Richard, avec une vraie salle de spectacle de
500 places, se lance dans le professionnalisme), au moment où
l'école de
1930 :
survie, folklorisation ou renouveau ? Toute
l'Europe s'intéresse aux marionnettes populaires. L'Union
Internationale de A Amiens,
avec " Les Compagnons de Lafleur" de Villeret puis avec
"Chès Cabotans d'Amiens" de Domon, Lafleur va devenir, avec
le picard, le centre d'un processus de survie ou de renouveau. Est-ce au nom
des valeurs et des traditions ancestrales ? Est-ce l'expression d'une culture
populaire ou ouvrière ? En Belgique ce renouveau sera fortement
représenté chez les Wallons et laissera des traces à
Tournai et à Mons. Dans la région lilloise, deux grandes
familles (De Budt et Richard) tenteront de faire survivre l'œuvre de
leurs fondateurs.
Le
Théâtre du Broutteux, le Théâtre Louis Richard : un hommage
au passé ou une expression dramatique nouvelle ?
A Roubaix,
le Théâtre Louis Richard avec Florien, petit-fils du fondateur,
est, dès 1978 en train de se préparer à assurer la continuité
avec Andrée Leroux et Alain Guillemin. En 1983, il va renouer avec le
professionnalisme du fondateur, publier les recherches sur les
théâtres de marionnettes du pays lillois et, de nouveau,
créer et écrire. Auteur de "boboches" à la
manière de Louis et Léopold Richard pour les personnages
centenaires, Jacques, Morveux Courtelapette…, Désiré
Ducasse se consacre à une écriture picarde pour les
marionnettes avec une volonté de renouvellement et de recherche. |